domingo, 2 de noviembre de 2014

Louis Aragon  ― “Los Ojos de Elsa”

Inclinando a tus ojos los míos sitibundos
en su fondo vi todos los soles reflejados,
y el salto hacia la muerte de los desesperados,
como el de mis recuerdos a tus ojos profundos.

Es un mar en tinieblas bajo el palio de un vuelo;
de pronto el día plácido de tus pupilas sube;
en los linos del ángel recorta el sol la nube
y sobre las espigas se azula más el cielo.

Vuelve al azul la bruma del viento perseguida;
-más diáfanos tus ojos abiertos bajo el llanto;
ni aún tras de la lluvia los cielos fulgen tanto;
el vaso azul no es tan azul como en la herida.

Madona de Dolores, humedecida lumbre,
siete espadas rompieron el prisma de colores;
el día es más punzante nacido entre clamores,
y el nocturno relente, más azul en quejumbre.

De las melancolías en la plácida fiebre
reabres con tus ojos sendas de epifanía.
Latiendo el corazón, el manto de María
al tiempo los Tres Magos vieron en el pesebre.

Al Mayo de las voces basta con un salterio
para todos los ayes y todas las canciones;
guarda un trozo de cielo luceros por millones,
donde faltan tus ojos con su doble misterio.

El infante absorbido por mirífioos viajes
desmesuradamente menos asombro espacia
que si agrandas tus ojos -insoluble falacia-
como racha que abriera dos capullos salvajes.

¿Escondes tus relámpagos en medio del espliego
donde el insecto vive su voluptuoso instante?
Preso estoy en el lazo de la estrella filante,
como ahogado marino bajo estival sosiego.

Yo extraje ese metal sutil de su pechblenda;
yo calciné mis dedos en su fuego prohibido;
paraíso mil veces recobrado y perdido,
tus ojos mi Golconda, mi dorada leyenda.

Y sucedió que el mundo bajo la tarde excelsa
rompiose en arrecifes de pérfidos fanales,
en tanto yo veía desde los litorales
sobre lívidas ondas brillar los ojos de Elsa.

∞ ∞ ∞
Poema original en francés:

Louis Aragon ―  “Les Yeux d’Elsa”

Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire
J’ai vu tous les soleils y venir se mirer
S’y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire

À l’ombre des oiseaux c’est l’océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L’été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n’est jamais bleu comme il l’est sur les blés

Les vents chassent en vain les chagrins de l’azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu’une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d’après la pluie
Le verre n’est jamais si bleu qu’à sa brisure

Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L’iris troué de noir plus bleu d’être endeuillé

Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche

Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d’un firmament pour des millions d’astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

L’enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l’averse ouvre des fleurs sauvages

Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d’août

J’ai retiré ce radium de la pechblende
Et j’ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

Il advint qu’un beau soir l’univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d’Elsa les yeux d’Elsa les yeux d’Elsa

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